MAJ – 29/10/2020 – Le 28 octobre, pour faire face à la grosse propagation du virus (la fameuse « deuxième vague », en cette saison automnale), le chef de l’Etat a reconfiné l’ensemble du territoire métropolitain. L’occasion, pour le Zéphyr de reprogrammer un papier, initialement paru durant le premier confinement, donnant la parole à des médecins et des infirmiers, en guerre contre l’ennemi invisible.

Papier initialement paru le 8 avril 2020

Docteur.e.s, infirmier.e.s, aide-soignant.e.s… Ils se mobilisent pour soigner ceux qui ont contracté le coronavirus. Méprisés et dévalorisés il y a encore quelques semaines, ils semblent désormais couverts de louanges. Mais derrière les vivats et les images télégéniques, il y a la vérité du terrain que nous racontent plusieurs professionnel.le.s de santé. Six héros et héroïnes du quotidien, au front.

les couvertures du Zéphyr

Le 16 mars 2020, à l’heure du dîner, la France est « entrée en guerre contre un ennemi invisible mais bel et bien redoutable ». Ces mots, loin d’être ceux de la rédaction du Zéphyr, sont ceux du président de la République. D’un ton martial et solennel, Emmanuel Macron plaçait, à cet instant, tout un pays en ordre de marche face à l’avancée du covid-19.

Mais derrière les lignes de front, les communiqués quotidiens et les images qui ricochent sur le petit écran, c’est toute une réalité qui se dévoile. Une réalité vécue par les professionnels de santé, hospitaliers ou non, que nous racontent des praticien.ne.s de toute la France. Des praticiens comme Philippe B., infirmier urgentiste dans le Grand Est. À 28 ans, il pensait « couler des années pénard à recoudre des accidentés ou à sauver des vies en toute tranquillité », comme il le dit avec un petit sourire. Mais l’épidémie a fait irruption dans son quotidien, comme dans celle de tant d’autres.

« Constamment sous pression »

en première ligne contre le covid

crédit : Hush Naidoo (Unplash)

Par chance, aucun de ses proches n’est touché par « cette saloperie ». Ça lui permet de bosser un peu plus sereinement, comme il aime à le préciser. Il enchaîne des gardes de 36 heures, regagne son petit appartement et repart à la guerre quelques heures plus tard. Philippe dort mal, se réveille souvent, entend parfois la sonnerie de son téléphone en pleine nuit sans que ce maudit appareil n’ait émis le moindre son. « On est constamment sous pression. Le jour, la nuit, en repos comme en garde. C’est sans doute le plus usant pour moi. »

Cette usure, Lætitia la ressent aussi. Elle qui s’était promis de ne jamais risquer sa vie pour son boulot, se retrouve finalement au milieu d’une zone de conflit. Aide-soignante dans un Ehpad du nord de Lille, elle voit chaque jour ses pensionnaires s’amenuiser. « Nous sommes les grands perdants de cette contamination. Pas de matos, pas d’aide, pas de soutien », dit-elle d’un ton résigné. L’équipe de la jeune femme doit en effet se débrouiller sans masques adaptés, sans lotion hydroalcoolique, « dont les stocks ont, semble-t-il, fondu comme neige au soleil », et sans soutien médical de première urgence face aux détresses respiratoires dues au virus ou, tout simplement, au stress de la situation.

La semaine dernière, deux personnes sont décédées dans l’établissement. Deux personnes qu’elle connaissait depuis des années, qu’elle avait soignées, habillées, accompagnées. Deux personnes avec qui Lætitia avait discuté de tout et de rien. « On est en contact avec des collègues d’un peu partout. Les boucles WhatsApp circulent bien et permettent de se tenir au courant. Le coronavirus a au moins servi à ça. Et ce n’est pas beau du tout. Ce que nous vivons dans le Nord, d’autres le vivent un peu partout. »

Coronavirus : en manque de moyens humains

En arrêt maladie pour une longue période, Yamina a mis entre parenthèses sa carrière d’aide-soignante pour se rétablir. Elle vit au quotidien la situation de ses amis et collègues restés sur le pont pour aider les malades. Consciente d’avoir la chance d’être auprès des siens et de profiter de son jardin du sud essonnien avec ses enfants, elle culpabilise de ne pas pouvoir aider.

« Malgré mes problèmes, j’ai tenté de réintégrer mon centre hospitalier pour me rendre utile et aider les collègues. Je me suis donc renseignée auprès de ma hiérarchie. Mais on m’a dit que ce serait compliqué, notamment à cause de la nouvelle opération que je devrais bientôt subir… », assure-t-elle. Sur place, la situation est telle qu’on la décrit sur Twitter et dans les principaux médias.

Le matériel, comme les moyens humains, manque cruellement. Face à la pénurie de masques, un ami de Yamina s’est débrouillé pour se procurer des visières de protection. Infirmier urgentiste, il s’est rapproché d’un atelier d’impression en 3D pour en obtenir gratuitement. Moralement, tout est compliqué sur le terrain. Ses amis lui parlent de ces patients qu’on doit intuber à la hâte, de ceux qui ont l’impression d’étouffer et d’avoir « des bris de verre pilés dans les poumons », de ceux, enfin, qui arrivent, toujours plus jeunes, dans les couloirs de services saturés.

Au front, avec un « salaire de merde« 

Pour Yamina comme pour les autres, un sentiment demeure : le désenchantement. Chacun sait, au fond de lui, que leur combat à eux est loin d’être gagné. Philippe, de son côté, espère du bout des lèvres que les promesses de revalorisation salariale seront tenues. « Après tout, on le mérite », affirme-t-il. Mais Yamina, elle, n’y croit pas. « On n’a pas attendus le covid-19 pour accomplir les actes héroïques que le public applaudit depuis trois semaines. On est au front tous les jours pour sauver tous ceux que l’on peut. Le tout, avec un salaire de merde, des conditions de travail difficiles et une reconnaissance inexistante », assure la mère de famille.

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Elle poursuit en assurant que sa profession retournera dans l’ombre une fois que la crise sera passée : « Cela s’est passé comme ça pour le Bataclan. Malgré tout notre dévouement et notre action pour soigner les blessés, on n’a récolté que du mépris et des coups de matraque. » Elle qui a cessé d’applaudir à 20 heures pour refuser « le mépris et l’hypocrisie de l’instant », continue d’encourager ses collègues dès qu’elle peut leur parler directement.

À l’extérieur des murs de métal et de plexiglas des hôpitaux, une autre guerre se joue. Livrée par les fantassins d’une médecine rurale, elle voit s’opposer l’allure sinistre du virus et les visages fatigués des derniers représentants d’un corps chancelant. Depuis près de quinze ans, nombre d’élus locaux tirent la sonnette d’alarme en présentant la désertification médicale comme une bombe à retardement. Ils n’imaginaient pas que l’année 2020 allait leur donner si puissamment raison.

« Les jambes ne suivent plus »

En rase campagne, des généralistes vont et viennent d’une maison à l’autre pour surveiller, ausculter, rassurer. Bernard est de ceux-là. « J’approche de la soixantaine et, même si la passion reste intacte, les jambes ne suivent plus. » À 59 ans, il continue de sillonner les routes du grand ouest pour s’occuper de « ses » patients.

Chaque jour, son agenda se remplit de plusieurs dizaines de demandes de rendez-vous. S’il ne peut pas tous les honorer, il rappelle toujours les familles pour prendre des nouvelles, donner quelques conseils, rassurer. « Mon travail, c’est 50 % de psychologie. Je dois discerner les vrais problèmes des inquiétudes. Les gens savent que je suis seul dans le secteur. Ils se sentent donc démunis en cas de pépin. Et le stress fait le reste », résume-t-il.

Sur les réseaux sociaux, une fois le voile des fake news écarté, l’on découvre plusieurs groupes thématiques dédiés au soutien logistique et vivrier des personnels soignants. Ici, des fablab se lancent dans la fabrication de visières de protection. Là, ce sont des restaurateurs qui reprennent le travail (Le Zéphyr l’a raconté ici) pour confectionner et livrer des repas directement aux services d’urgence.

« C’est comme un film d’horreur »

Le phénomène se répète partout dans le pays et vient contrebalancer le constat aigre-doux de certains praticiens. « Inutile de vous dire qu’on est ravis de voir arriver les sachets », assure Bertrand, 43 ans. Infirmier à Paris, lui et ses collègues sont épuisés, et tous les encouragements sont reçus comme des trésors. « La première fois qu’on m’a tendu un plat, je me suis demandé si c’était une erreur. Je me suis marré et, avec les nerfs, j’ai également écrasé une petite larme. Les gens ne s’imaginent pas le bien que cela fait. »

Lui qui enchaîne les gardes et a pris l’habitude de dormir assis, comme il le dit en plaisantant, sait que son équipe ne tiendra pas longtemps à ce rythme. Autour de lui, tous redoutent une nouvelle vague de contaminations. « C’est comme un film d’horreur. On attend la vague. On l’attend avec angoisse en se disant qu’on n’a plus de munitions. Heureusement, les malades ne nous bouffent pas encore », dit-il en souriant. / Jérémy Felkowski