En Europe, ils ne sont que trois à vivre de leurs prises de vues de bodypaint. Le Français Bertrand Orsal, 34 ans, en fait partie. Le Zéphyr dresse son portrait et le questionne, en particulier, sur son rapport au corps dans le cadre de son travail.

les couvertures du Zéphyr

Ce soir-là, une vingtaine de personnes franchit le seuil du bar étroit. Certains clients s’attablent pour dîner, d’autres rejoignent le comptoir et dégustent une bonne pression. Ce soir -là, tous suivent un petit spectacle inhabituel : une artiste-peintre décore le corps nu d’une modèle, qui pose assise, sous le regard attentif de Bertrand Orsal, photographe de bodypainting et initiateur de la soirée. Depuis son viseur, aucun angle ne lui échappe. Il prend cliché après cliché jusqu’à ce qu’Elena Ramos – contorsionniste de profession – soit recouverte d’un accoutrement de couleurs.

Ici, le photographe de 34 ans expose quelques-unes des prises de vues de bodypaint qu’il accumule depuis plusieurs années. Entre deux photos, il prend le temps de répondre aux curieux. Tant les fidèles du troquet du 19ème arrondissement de Paris, qui ignorent tout de sa profession, que les compagnons partageant sa passion, tels des artistes ou des modèles, qui ne voulaient pas rater son vernissage. « C’est un tout petit milieu, note Bertrand Orsal. Tout le monde se connaît. »

Enfin, au sein de la corporation, c’est plutôt les gens qui le connaissent. Une notoriété dont il a conscience : « Je ne peux pas faire 100 mètres au festival mondial, qui se déroule en Autriche, sans être arrêté pour serrer une main ou claquer une bise », lâche-t-il en riant. Modeste, le garçon.

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Shootings

Mais, en France, c’est le seul photographe qui gagne (un peu) sa vie grâce à ses photos de corps repeints. Il travaille pour les particuliers, les entreprises, les festivals européens, ainsi que pour des artistes de toutes nationalités, devenus, au fil du temps, des amis.

Maintenant, des shootings, il en a toutes les semaines. Parfois, pour des femmes lui commandant des clichés de ventre décoré d’un corps d’enfant dans la position du fœtus. Mais pas seulement, puisque les hommes font aussi appel à lui. Un peu avant notre première rencontre, en octobre 2015, un nageur l’a sollicité. L’objectif du sportif : confectionner un calendrier avec une série de photos de bodypainting, histoire de financer en partie la traversée de la Manche qu’il compte réaliser.

« Je ne mate pas »

À chaque fois, le même scénario se répète : il se retrouve face à des modèles qui se dénudent, mais pas lui. Une situation pas forcément évidente à gérer pour des particuliers novices en la matière. Comment construire une relation de confiance ? Qu’explique Bertrand Orsal aux mannequins d’un jour ? « Je précise que les modèles ne sont pas tous nus, il y a au minimum un cache-sexe ou un string. » Et de poursuivre : « Je montre que je ne suis pas pervers, je les regarde les yeux dans les yeux et n’observe jamais le corps. »

Aussi, Bertrand Orsal, qui enseigne la photographie (générale ou spécialisée), explique à ses élèves qu’il ne faut « regarder qu’à travers le viseur de l’appareil ». Néanmoins, il photographie souvent les mêmes modèles – ces derniers ne sont pas si nombreux et, photogéniques, ils multiplient les séances, bénévolement. Résistants, ils savent rester figés plusieurs heures. Et y compris, glisse le photographe, apparemment admiratif, dans une salle non chauffée.

« De gros cochons »

Au final, Bertrand Orsal les connaît par cœur… au point que certains, ayant l’impression de porter des vêtements de couleur, oublient presque leur nudité en se baladant devant lui, remarque-t-il, amusé. « Je ne mate pas, il n’y a pas d’attirance, puisque je ne réalise que mon travail », répète le photographe, non sans sourire… Avant d’admettre que certains abusent lors des festivals. « De gros cochons, des célibataires libidineux de 50 ans qui font des commentaires sexistes, il y en a quelques-uns », reconnaît-il.

Selon Bertrand Orsal, il est facile de couvrir ce genre d’événements, puisqu’il suffit de payer son ticket d’entrée de photographe. D’après ses dires, rien n’est vraiment fait pour éviter tout ça, si ce n’est, récemment, à Épinal, où un couple, accroc au bodypaint, organise un meeting annuel de professionnels. « On a pu en raccompagner certains à la sortie », explique-t-il.

Photo Bertrand Orsal

De sa passion, Bertrand Orsal, en parle des heures. Il en vient assez vite au commencement, en 2010, un soir au cours duquel il pratique le couchsurfing, consistant à ouvrir ses portes à d’autres pour une nuit. Cette fois-ci, il accueille, sans le savoir, une artiste et modèle de bodypaint allemande à son domicile. Celle-ci découvre son penchant pour la photographie puis l’emmène à une séance de photos de mode pour qu’il prenne quelques clichés de making-of. «Elle a apprécié mes prises de vue et m’a proposé de l’accompagner au festival mondial d’Autriche quelques mois plus tard, en 2011 », raconte-t-il. Le début de la gloire.

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D’amateur à pro

Ingénieur à l’époque, il termine deuxième du concours, à la surprise générale. Un coup d’éclat qui en appelle d’autres. Le photographe amateur gagne d’autres prix… jusqu’au moment où il décide de quitter son travail pour faire de sa passion un métier. Il monte une start-up, propose des formations et accepte des commandes de clichés dans tous les domaines. Quelques années plus tard, les rétributions liées à ses photos de bodypainting, au final, ne représentent encore qu’une petite partie de son revenu total mensuel. Son objectif ? « Si j’atteignais 50 %, ce serait bien ! »

« On apprend sur le tas »

D’autant plus qu’il y a une marge de manœuvre, dit-il, la pratique étant encore assez méconnue en France. Et, de manière générale, dans les pays latins. Bertrand Orsal le remarque quand il essuie des refus de la part d’établissements scolaires qu’il sollicite pour leur proposer de mettre en place des cours de photos de bodypaint. « La demande n’est pas là… » D’ailleurs, bien qu’on puisse suivre des cours de bodypainting, notamment au sein d’un cursus pour devenir maquilleur ou esthéticien, aucune formation dédiée à la discipline en tant que telle n’existe dans l’Hexagone – on ne devient pas artiste dans ce domaine à l’école. « Mais on apprend sur le tas », explique Bertrand Orsal, très proche des artistes, même s’il ne peint pas.

Contrairement à la France, le monde anglo-saxon est plus ouvert à la discipline. Pour se rendre compte de l’attrait, il suffit de répertorier les festivals dans chaque pays – la plupart des rendez-vous professionnels, ouverts au public, se trouvent du côté britannique ou dans le monde germanophone. « Ce n’est pas étonnant que le festival mondial de bodypaint se situe en Autriche, un pays peu pudique », explique le photographe, qui cherche à prononcer le nom de la commune. « Cela s’appelle Pörtschach », glisse-t-il, en tentant de rester sérieux. Une autre preuve ? « Il y a un événement en Espagne en mai. Il se trouve à Gibraltar, un territoire… britannique. »

L'artiste par lui-même...

L’artiste par lui-même…

Il se voyait déjà… ambassadeur

Populariser le bodypainting, c’est justement ce qu’il tente d’obtenir quand il organise des expositions, comme à Chantilly, sa commune. En janvier 2015, par exemple, il a montré ses clichés un mois au centre culturel de la ville de l’Oise – une exposition qui a « bien marché », d’après les dires de la présidente du conseil d’administration du centre culturel, Nicole Daval. Et c’est dans ce même lieu qu’il souhaitait mettre en place un grand événement national consacré à sa discipline préférée, en juin 2016.

Un grand raout qu’il préparait depuis plusieurs mois. Alors que certains peintres lui avaient déjà promis de venir, il apprend, le 9 novembre dernier, que le conseil d’administration refuse, glisse-t-il, de lui « prêter les locaux municipaux ». C’est la vice-présidente, l’adjointe au maire à la culture, Caroline Godard, qui lui souffle la raison officielle, le lendemain, au téléphone : « La population de Chantilly n’est pas prête au bodypainting. »

« Ce n’est pas un art anodin »

Pour les 50 ans du centre culturel de Chantilly, en juin dernier, Bertrand Orsal avait organisé une session de bodypaint et « apparemment, me confie-t-il, après coup, cela aurait choqué certains habitants qui se sont plaints ». Nicole Daval précise : « Ce n’est pas un art anodin, il plaît à certains, il ne plaît pas à d’autres. » Plutôt favorable, comme d’autres membres, au projet, elle avoue ne pas aimer tout les motifs peints sur les corps que capture le jeune homme.

Mais ce ne serait pas la raison qui l’a poussée à dire non au jeune homme, assure-t-elle : « Il est trop compliqué d’organiser un événement de deux jours en 2016, car c’est une année au cours de laquelle le centre culturel va évoluer et changer de direction. » Mais après, en 2017 ou 2018, pourquoi pas ? Sauf qu’elle le sait : Bertrand Orsal, pressé comme il est, ne veut pas attendre. Déçu, il a critiqué le résultat du conseil d’administration dans la presse locale, s’est plaint d’avoir dû patienter devant une porte sans avoir pu défendre son projet lors du conseil d’administration, mais a vite commencé à chercher un nouvel emplacement dans les parages. Le photographe est passé à autre chose. Il a shooting. / Philippe Lesaffre (photos : Bertrand Orsal)