A la fin des années 70, une joueuse de tennis a fait couler beaucoup d’encre. Les États-Unis découvrent que Renée Richards, qui sera finaliste en double à l’US Open 1977, a changé de sexe avant d’entamer une carrière pro. Son histoire dérange.
Juillet 1976, sur la côte ouest des Etats-Unis. Non loin de San Diego, à la Jolla, se joue un petit tournoi de tennis amateur. Et, sensation, la tenante du titre se fait surprendre par une quasi-inconnue. Renée Clarke, la gagnante, a 42 ans, mais possède quelques atouts : cette grande athlète, 1,85m, contrôle le jeu et fatigue ses adversaires grâce à un puissant service. Averti par un spectateur surpris par ses qualités, un reporter de télévision couvrant l’événement local se met à enquêter, fouille son passé et découvre qu’à sa naissance, en 1934, la joueuse s’appelait… Richard Raskin.
Scandale : la gagnante était en fait un gagnant. Un an auparavant, celle qui se fait appeler Renée a changé de sexe via une opération réalisée au Maroc dans la plus grande discrétion. Une transformation qu’elle espérait en réalité « depuis l’âge de 9 ans », révélera-t-elle des années plus tard.
Une révélation qui fait scandale
En Californie, personne n’était au courant de sa récente métamorphose. Et surtout pas les organisateurs du tournoi, où elle a excellé. Le monde découvre alors que Renée, qui vit enfin comme la femme qu’elle a toujours voulu être, a renoncé à sa vie new-yorkaise. Elle a tout plaqué : son confortable job d’ophtalmo, ses amis, sa famille… Car Richard, marié à une mannequin, a un fils de 5 ans à l’époque.
La révélation fait l’effet d’une bombe. L’Usta, la fédération américaine de tennis (qui organise les tournois comme l’US Open), trouve le moyen de lui barrer la route: elle lui impose de passer un test chromosomique avant de participer à l’US Open, un test qui prouverait qu’elle est bien une femme. Ce qui revient, au final, à lui interdire de jouer, puisqu’elle refuse de s’y prêter ! « Je n’ai pas compris, s’exclamera l’athlète, pourquoi je ne devais pas avoir le droit de concourir à ce grand chelem. » Une compétition qu’elle connaît bien : deux décennies plus tôt, Richard avait participé au tournoi simple messieurs, à l’époque où ce n’était qu’un tournoi amateur (au mieux, il avait atteint le deuxième tour).
Cette interdiction touche à ce qu’il y a de plus intime pour la joueuse de tennis, dont les portes se ferment également à Roland-Garros et à Wimbledon. « On m’a déshabillée devant le monde », regrettera-t-elle.
Un victoire en justice
Mais Renée, qui a choisi ce patronyme en référence au mot Renaissance en français, refuse de se laisser faire. Elle va se battre pour changer les mentalités. Elle poursuit l’Usta, car elle trouve la décision injuste. Renée considère surtout qu’avoir le droit de jouer revient à lui laisser la possibilité d’être acceptée en tant que femme, son souhait le plus cher. Car elle refuse d’être constamment ramenée à son passé de « transsexuelle ».
Elle attendra un an pour fêter une superbe victoire : le 16 août 1977, le juge new-yorkais Alfred Ascione lui donne raison. « Des preuves médicales écrasantes, indique-t-il, montrent que l’intéressée est maintenant une femme et que le test chromosomique n’est pas et ne doit pas être le seul critère pour déterminer le sexe d’une personne. » Et le juge de poursuivre : « Il serait contraire aux droits de l’Homme en vigueur dans l’État de New-York, interdisant toute discrimination sexiste, d’empêcher Renée Richards de participer à l’open des États-Unis de Forest Hills. »
Une carrière honorable
Ouf de soulagement : Richard est bien devenue Renée ! Ravie, elle reprend le chemin des cours et participe au grand chelem. En simple, elle s’arrête au premier tour, vaincue par la Britannique Virginia Wade, qui a soulevé, l’été précédent, la coupe à Wimbledon. Mais la joueuse se hisse tout de même en finale en double, avec sa partenaire de jeu Betty-Ann Stuart. Les deux femmes s’inclinent contre la paire Navratilova – Stöve. Une performance remarquable pour cette ex-ophtalmo de 43 ans.
Sa carrière, qui débute bien, durera 4 ans, elle sera brève mais honorable : en novembre 1977, Renée remporte un premier titre à Buenos Aires, en Argentine. L’année suivante, elle rentre de Floride avec un titre au petit tournoi de Fort Myers. En 1979, elle s’arrête en finale à Indianapolis et se hisse, à l’US Open, en demi-finale en double mixte avec le joueur Ilie Nastase. Elle continuera de jouer et de gagner des matchs jusqu’au début des années 80. Mais elle est surtout connue pour avoir entraîné deux ans la grande… Navratilova, qui, avec son aide, soulèvera quelques trophées de grande classe. « Une belle expérience« , précisera Renée, avant de rouvrir un cabinet d’ophtalmo, à New York, où elle vit encore.
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“Je suis une vraie femme”
Tour au long de sa carrière, elle a pu compter sur des soutiens de poids. Parmi ses amis, il y a des légendes comme Martina Navratilova (59 titres du grand chelem) ou, encore, Billie Jean King (27 grands chelems), connue pour son engagement pour l’égalité entre les sexes. « Il fallait la laisser jouer, naturellement », affirmera d’ailleurs l’ex-championne, des années plus tard.
Mais la polémique n’a cessé de se poursuivre durant sa carrière. Renée a aussi de nombreux détracteurs. Certaines joueuses portent un tee-shirt floqué d’un slogan identitaire, histoire de la provoquer : « Je suis une vraie femme ». Et ça va même plus loin. Un jour de match, Renée, qui est à quelques points de la victoire, voit le mari de son adversaire, l’Australienne Kerry Reid, débarquer sur le cours pour sortir sa femme du terrain. Il a l’air exaspéré. Au tour précédent, l’Américaine Joanne Russell lui avait même adressé un doigt d’honneur durant un set.
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Alors, avantagée ou pas ?
Oui, sa présence gêne, dérange, certaines personnes dérapent. Renée, qui n’a pas le droit de jouer à Paris ou à Londres, fait peur. On dit que sa musculature, celle d’un homme, l’avantage, (face à des joueuses moins physiques).
Plus tard, en 2004, elle revient sur cette polémique pour le média australien The Age. « Je n’étais pas une menace pour mes adversaires du fait de mon âge », dit-elle au journaliste. Et le reporter de s’interroger : « Mais vous avez ressenti une diminution de votre force après le traitement hormonal ? » Réplique de Renée : « Certainement ! »
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Mais aussitôt, elle précise : « Même à plus de 40 ans, je servais très bien, c’est une force que j’avais déjà en tant qu’homme. Ce n’était pas le meilleur service du circuit féminin, c’est sûr, mais il était tout de même impressionnant. Je ne sais pas combien de femmes de mon âge en avaient un de cette qualité. (…) Après, il faut relativiser : certes, j’avais cette arme, le service, sans oublier la masse musculaire qui n’a pas totalement disparu après la transition (et ma grande taille qui aidait). Mais la différence d’âge est à prendre en compte : je jouais contre les meilleures du monde qui avaient la vingtaine. » Au journaliste, elle conclut en citant son ex-partenaire de jeu Ilie Nastase, qui répliquait face aux attaques : « Mais de quoi ont-elles peur ? Elle a l’âge d’être leur mère ! » / Philippe Lesaffre