Pasteur jadis député de centre-gauche, le sage engagé s’élève contre le manque d’humanité et l’autoritarisme du régime actuel hongrois.
Depuis trente ans, cet homme de foi fondateur de l’une des premières organisations magyares dédiées aux plus démunis (SZETA, 1979) accueille jour après jour des dizaines de SDF et de nécessiteux dans son complexe associatif du 8e arrondissement de Budapest. Sur place, ils reçoivent gîte, couvert, réconfort et soins, alors que la mendicité est désormais un crime.
La canicule cogne sur le sud de la Hongrie en cette fin d’été. Pendant que le pays commémore la canonisation de son premier roi chrétien Saint-Étienne comme chaque 20 août, un sexagénaire barbu aux airs de Père Noël et au timbre doucereux se présente avec du pain, du poisson et des pommes qu’il veut offrir aux migrants enfermés par 40 degrés dans les Algeco du centre de rétention de Röszke.
La gardienne refoule Gábor Iványi et ses collègues de la Communauté évangélique hongroise (MET) renvoyés vers trois autres administrations de la région sans obtenir de résultat. Le groupe décide finalement de franchir la frontière serbe et donne les vivres à une ONG de Subotica aidant les réfugiés.
Une caméra de l’hebdomadaire d’opposition 168 Óra immortalise la séquence et le calvaire d’Iványi. Lui qui voulait aider ces détenus volontairement affamés par les autorités magyares se retrouve face à un mur aussi infranchissable que la clôture barbelée anti-migrants séparant la Hongrie de la Serbie. Iványi n’en est pas à sa première injustice.
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L’indifférence du pouvoir
« Jésus est né sans-abri dans une grange de Bethléem car Marie et Joseph ne trouvaient pas de logis. Le gouvernement maintient ces personnes en marge de la société. Mais on ne choisit pas de vivre dans la rue », tonne ce fils d’un pasteur et d’une enseignante. Il brocarde « l’indifférence » du pouvoir conservateur Fidesz, un parti aux affaires depuis 2010 se réclamant paradoxalement des valeurs chrétiennes. « La Hongrie compte 50 000 sans domicile fixe dont 5 % d’entre eux rien qu’à Budapest et près d’1,2 million de personnes sont au seuil du trottoir sur l’ensemble du pays. J’ai honte de cette politique reniant le message d’humanité du Christ », poursuit Iványi en terminant son café au lait.
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Bataille sans relâche
Deuxième d’une famille de onze enfants, le natif de Szolnok a sans doute été inspiré par son père pasteur, biberonné à l’ouverture vers l’autre. Il irritait déjà l’administration prosoviétique qui l’a expulsé de sa formation de pasteur en 1974, puis chassé de l’Eglise méthodiste, un an plus tard. Il a même été condamné à de la prison avec sursis pour infraction au droit d’association en 1977.
Sa réaction ? Défier de nouveau la République populaire avec une revue politico-culturelle libérale baptisée Beszélö (Le Parleur) puis une publication religieuse illégale (La Porte Ouverte) stoppée au bout de quelques numéros juste avant la naissance du SZETA. Aujourd’hui, il poursuit l’aventure et bataille sans relâche pour restaurer le statut religieux de sa communauté supprimé par le gouvernement Orbán, en vertu de la législation sur les églises de 2011.
« Bible haineuse »
Dans son bureau où l’on aperçoit une photo dédicacée d’Elisabeth II, qui a fait un crochet dans ses locaux lors d’une visite officielle à Budapest en mai 1993, Gábor Iványi dénonce la « dictature » ayant selon lui cours en Hongrie. Il salue le vote du rapport Sargentini validé le 12 septembre 2018 par le Parlement européen demandant le déclenchement de sanctions sans précédent contre Budapest accusée de dérive autoritariste, oligarchique et clientéliste.
Pendant ce temps-là, sa communauté évangélique multipliant les retards de paiement depuis sept ans survit de dons privés et n’a plus l’autorisation jusqu’à nouvel ordre de recueillir les 1 % d’impôts que les contribuables peuvent verser aux organismes caritatifs ou religieux éligibles vue sa perte de statut.
« Orbán écrit sa propre Bible haineuse et inhumaine sur le modèle du régime antisémite d’Horthy (1920-1940, ndlr). Le pouvoir d’alors parlait de « chrétienté nationale » comme l’actuel mais où était Dieu lorsque 600 000 juifs hongrois furent déportés vers les camps de la mort ?, s’indigne le pasteur aux ancêtres juifs et huguenots. Orbán veut une Europe à son image dans laquelle il courtise Poutine tout en restant membre de l’OTAN et peut vendre des permis de résidence à prix d’or aux Chinois, aux Russes ou aux Qataris fortunés tout en rejetant fermement les migrants transformés en outil politique. Il déteste la défaite et nous mène la vie dure. Le pouvoir l’a énervé », regrette le sage de la rue Dankó.
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Puissance de l’éducation
Le pouvoir, Iványi l’a un peu connu, lui qui a exercé en tant que député libéral du parti SZDSZ entre 1990 et 1994, puis 1998 et 2002. Il est plutôt satisfait de son passage sur les bancs de l’Assemblée, mais se voit mal retourner dans la violente arène politique. Pas la peine. On peut agir aussi en dehors.
L’ex-parlementaire affirme accomplir un « travail social » face au manque de solidarité « révoltant » de l’exécutif magyar qu’il s’agisse des roms ou des réfugiés. Quand Orbán fermait la frontière serbe à l’été 2015, lui se précipitait à Harkány aux portes de la Croatie afin de ramasser les couvertures et restes de nourriture laissés derrière eux par les candidats à l’exil. Iványi s’est aussi battu pour l’installation de sanitaires dans les zones de transit de Röszke et Tompa comme il l’avait fait à Hegyeshalom alors que le camp autrichien juste de l’autre côté disposait de WC. Sa colère masque un désarroi face à cette « crise des migrants » que la Hongrie n’oubliera pas de sitôt.
Iványi refusait l’ingérence de l’Etat lorsqu’il prêchait dans la paroisse de Mátészalka incorporant dix-sept villes et forme désormais enfants niveau maternelle ou primaire, apprentis travailleurs sociaux, aspirants journalistes, futurs enseignants, garde-forestiers en herbe ou théologiens d’avenir hors de la tutelle publique via le réseau d’écoles John Wesley nommé d’après un pasteur anglican du XVIIIe siècle.
« Pratiques scandaleuses »
Recteur de l’établissement possédant une quinzaine de succursales en province, le révérend croit à la puissance de l’éducation jusque dans les zones les plus déshéritées du pays, notamment au nord-est. Il défend cette « Hongrie invisible » sujet de l’ouvrage signé Nóra L. Ritók trônant sur sa bibliothèque.
« Nous n’avons pas le droit d’abandonner les laissés pour compte qu’ils soient pauvres ou réfugiés. Comment ose-t-on par exemple couper l’eau en 2018 dans un village modeste et reculé (Nyíradony, restaurée quelques jours plus tard ndlr) alors que la loi doit en garantir l’accès même en cas de dettes ? Ce genre de pratiques scandaleuses n’existait pas sous le communisme. Notre pays est le fruit de mélanges de populations et le gouvernement ignore éhontément ce pan de l’Histoire », fustige Iványi. Toujours aussi déterminé malgré la chasse hongroise aux ONG critiques, le clerc militant entend aider son prochain au mieux sans distinction ni jugement de valeur. Qu’importent les encombres politiques. / Joël Le Pavous