À 18 ans, Alyssa Carson s’est forgée sa propre légende. Celle d’une fillette passionnée par Mars et entièrement dévouée à son rêve : marcher sur la planète rouge.

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Cherchant des sujets de science-fiction pour alimenter notre rubrique de portraits imaginaires, j’imagine ce pitch : « 2033, Laura Zhang sera la première femme à marcher sur Mars. Ou, comment la Chine a pris le contrôle de la conquête martienne, moins de 10 ans après la faillite Space X. » Débutant quelques recherches, afin d’émailler ce portrait fictif de faits réels, je tombe sur l’incroyable histoire d’Alyssa, une adolescente « choisie par la NASA (qui) pourrait être la première humaine à marcher sur Mars en 2033 ».

Certains sites d’info, dans leur précipitation, font un raccourci trompeur. Car, même si Alyssa Carson rêve plus que tout de fouler le sol martien dans une quinzaine d’années, rien, du côté de l’agence spatiale américaine, n’a encore été décidé. Pour autant, la réalité semble bien avoir doublée ma fiction ! Car la passion précoce de cette enfant pour l’espace, ainsi que son travail acharné, en font bel et bien une des meilleures candidates à la succession de Neil Amstrong sur le podium des conquérants de l’espace.

En 2033, lorsque la NASA sera prête à décoller pour Mars, Alyssa aura 32 ans : l’âge parfait pour partir en mission. Peut-être, son nom sera-t-il demain dans tous les livres d’histoire. Je décide donc de la contacter pour une interview – via son père Bert, un producteur de télévision et, accessoirement, l’attaché de presse de mademoiselle.

« Papa, je veux être astronaute »

Tout commence en 2004 à Baton Rouge, Louisiane. Alyssa, 3 ans, est scotchée devant le cartoon « The Backyardigans » (les Melodilous, en français), diffusé par la chaîne Nickelodeon. Dans cet épisode (le n°21) intitulé Mission sur Mars, les cinq compères organisent un voyage sur la planète rouge. Alors que le générique de fin apparaît à l’écran, Alyssa, fascinée, se tourne vers son père et le bombarde de questions d’astronomie. Le père célibataire, qui n’y connaît rien, botte en touche : « Je lui ai expliqué que sa génération irait probablement visiter mars. Et j’ai cru qu’on n’en resterait là. » Mais cette réponse a provoqué un déclic chez la petite fille.

Quelques jours plus tard, elle revient à la charge : « Papa, je veux être astronaute et aller sur Mars. » Bert ne prend pas encore Alyssa au sérieux : « Tous les enfants de trois ans rêvent un jour d’être policier ou astronaute », me dit-il. Mais il offre tout de même à sa fille quelques livres sur le sujet et lui montre des vidéos d’atterrissage des rovers Curiosity (robot laboratoire de la NASA) et Opportunity (astromobile de la mission Mars Exploration Rover) sur le sol martien. La fillette se met alors à redécorer sa chambre de cartes de Mars et à scruter l’espace depuis son nouveau télescope.

Un jour, Bert la trouve studieusement penchée sur une carte de Mars. « Quand je lui ai demandé ce qu’elle faisait, elle m’a répliqué : “Je regarde où nous allons atterrir et installer le camp.” Elle maîtrisait déjà parfaitement son sujet. C’est à ce moment-là que j’ai su que j’allais devoir élever une enfant destinée à quitter cette planète. »

Alyssa avec l'astronaute "Dottie" Metcalf-Lindenburger en 2015

Alyssa avec l’astronaute « Dottie » Metcalf-Lindenburger en 2015

Le week-end de sa vie

Quatre ans plus tard, Alyssa est enfin en âge de participer à son premier NASA Space Camp à Huntsville, en Alabama. Elle y reçoit le Right Stuff Award, la plus haute récompense décernée lors d’un Space Camp. « Ce fut le week-end de ma vie », sourit-elle. Elle y retournera… 18 fois en deux ans.

Mais c’est une rencontre qui transformera sa passion en véritable ambition : celle de l’astronaute vétéran Sandra Magnus. Ce jour là, celle qui a passé 133 jours dans la station spatiale internationale en 2008 lui dit : « J’avais ton âge quand j’ai décidé de devenir astronaute. » En une phrase, l’ingénieure quinquagénaire vient peut-être de sceller le destin d’Alice.

À partir de cet instant, l’histoire d’Alyssa se change en une interminable litanie de diplômes et de performances hors norme : stage à la Space Academy de l’an NASA, à la Robotic Academy de Pittsburgh, témoin de trois lancements de la navette spatiale, animatrice de formation au MIT (Massachusetts Institute of Technology)… « Je construis le meilleur CV pour atteindre mon rêve », glisse la jeune fille.

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Agenda de ministre

C’est ainsi qu’à 12 ans, elle deviendra la seule personne au monde à compléter le passeport de la NASA, avec les 14 tampons des 14 Space Camps du monde. Repérée par l’agence spatiale, elle sera invitée à faire un discours lors du 10ème anniversaire du lancement de la mission Mars Exploration Rover.

L’année suivante, la pré-ado prend la parole devant le public du TEDx (une fameuse conférence consacrée à l’innovation) et joue dans le Steve Harvey Show, une sitcom tournée en milieu scolaire. Sur scène ou devant les caméras, Alice porte avec fierté sa combinaison bleue et parle de Mars comme de sa « future maison ». Malgré cet agenda de ministre, son père veille à ce qu’elle ait une véritable enfance, « qu’elle fasse des trucs de filles, sorte avec ses copines, traîne à la maison, comme une ado ».

Le chemin est encore long

Dans un article du magazine américain Inverse, dédié aux nouvelles technologies, le docteur Jason Reimuller, chercheur en aéronomie, explique que les futurs astronautes sont fréquemment repérés très jeune. Cela explique pourquoi la communauté spatiale a si facilement ouvert les bras à la « petite » Alyssa.

À 15 ans, elle est la plus jeune diplômé de l’Advance Possum Academy, un programme d’études spatiales débouchant sur certificat officiel d’astronaute-stagiaire. Au menu : stages de microgravité, entraînements sous-marins, tests de stress, astrobiologie, construction de mini-fusées, etc. « Cette entraînement est assez difficile à tenir pour une personne de mon âge”, avoue Alyssa au très chic magazine Teen Vogue, avant d’ajouter : « Mais je commence à être rodée. »

Le chemin est pourtant encore long. « Je dois encore aller à l’université, j’ai envie de valider une thèse en astrobiologie, devenir chercheuse. Ensuite, je pourrais rejoindre l’équipage qui embarquera pour Mars. » Parce qu’elle sait que sa jeunesse est son meilleur atout, Alyssa a déjà pris les devants. En plus du lycée, où elle va toujours, elle étudie l’espagnol, le français et le mandarin. Elle veille à ne pas rater trop de cours, et participe généralement aux événements ou formations organisés par l’agence spatiale americaine durant les vacances scolaires. Certes, à son retour, elle a parfois du mal à se réadapter, et perçoit un décalage avec ses camarades.

Il est vrai qu’avec ses fonctions d’ambassadrice du programme Blueberry (sponsorisé par la NASA pour sensibiliser les jeunes à la conquête spatiale dont les héros des missions Apollo commence à vieillir) sa vie peut ressembler à celle d’une rockstar. Elle fait le tour du monde, pour rencontrer des gamins émerveillés (la “génération mars”), à qui elle parle de « tous les astronautes, spécialement des femmes, qui ont tracé la voie qu’(elle a) choisie de suivre”. Elle leur raconte son compte de fée pour millenials : « L’histoire d’une fille de trois ans qui voulait aller sur Mars et travaille chaque jour pour accomplir son rêve. »

alyssa carson 18 ans mars spacex

« Je suis prête »

Aujourd’hui, Alyssa est prête. « Prête à sacrifier ma chance de fonder une famille, à ne plus jamais revoir ce que j’aime, à subir des interventions chirurgicales, à renoncer à un organe ou deux, à connaître un risque plus élevé de cancer, à vivre dans un espace confiné avec des étrangers et d’être lancé dans le vide intersidéral pendant des mois. »

Alyssa et son père sont donc bien conscients des dangers et qu’elle pourra courir à bord des fusées SLS ou Orion. La première mission vers Mars « sera dangereuse et des personnes vont probablement mourir », déclarait Elon Musk, patron de Space X, dans une interview donnée au Washington Post en 2016.

Mais cela ne semble pas effrayer Alyssa. « En rencontrant tous ces professionnels, j’ai compris que la sécurité était leur priorité. » À ses yeux, les avantages l’emportent largement sur les risques.

Dans sa tête, tout est prévu : « Six mois pour l’aller (une balade de 65 millions de kilomètres), puis deux à trois années sur place pour fonder la colonie et faire quelques expériences, et 9 mois pour revenir. » De retour sur Terre, elle compte poursuivre ses recherches et continuer à transmettre sa passion pour l’espace. Et même si elle savait ne pas pouvoir revenir sur terre, « ça ne changerait rien à (son) désir de participer à cette mission ; (elle irait) quand même. »

Son père acquiesce. « Le meilleur scénario pour moi : je ne la vois pas pendant 3 ans. Le pire des cas : il arrive quelque chose ou elle choisit de rester sur Mars. C’est difficile en tant que parent. Mais c’est son rêve, sa passion. Je sais que cela dépasse notre seule relation et je dois la laisser partir. J’estime qu’on doit soutenir les rêves de ses enfants, aussi fous soient-ils. »

Et l’amour dans tout ça ? Oui, mais après 2033. « Je ne peux pas imaginer une relation sérieuse avant mon retour de mission, vers 36 ans. Avant cela, avoir quelqu’un que j’aime sur Terre serait une distraction. »

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Alyssa n’a même pas 18 ans qu’elle est déjà courtisée par la firme spatiale hollandaise Mars One, dont elle est devenu l’égérie. Son concurrent, Space X, pourrait aussi lui proposer de réaliser un premier vol spatial d’ici deux ans. Bert s’en réjouit : « Si nous pouvons lui trouver une mission avant qu’elle ait 20 ans, ce serait la première ado du monde dans l’espace », songe-t-il, avec un sang-froid déconcertant. Leur rêve est là, visible à l’œil nu. Mais pour le moment, il ne reste qu’un rêve. / Jacques Tiberi (crédits photos : NasaBlueberry). On remercie KAWD-Art pour le portrait de couverture.