Pas besoin d’ouvrir le dictionnaire : la poétesse Kamila Chérif prend la plume pour raconter en vers et en prose les différentes formes d’addictions. Laissez-vous surprendre.

les couvertures du Zéphyr

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Amour

Sur tes lèvres imparfaites se dessinait la rose,
Douce tempête que le matin expose,
Plein de grâce et d’appâts plus houleux,
Je te défiais de mes yeux insidieux ;
Et des charmes j’en avais vu partout,
Se trémoussant dans les rues de ma vie,
Mais celui-là, vous dis-je, je l’ai retenu,
Et l’ai embrassé avec tout mon esprit.

amour (addictions), de Kam

Lettre d’adieu

Il la retient de ses mains vaines
Agrippant le néant, fouillant ses souvenirs,
Cherchant dans son histoire une raison de fuir,
Désespoir tenace, intenable frustré,
Et l’amour fulgurant devient plus enragé,

Coupable de folie, comme un ange déchu,
Il a le cœur ballant et la face flétrie
Sentant rugir en lui cette passion déçue
Il ne sait plus que faire de l’avenir compromis,
Il lisait en hurlant ses tripes dansant en lui,
Les maux d’amour qu’on lui avait écrit,

« Mais nulle part, nulle part je le promets,
Ne te rappelle rien tu serais détestable,
Oublie de moi chaque trait et les moindres détails,
Dont ton cœur malade pourrait suffoquer,
Tu restes seul et je m’en vais,
n’aie pas de haine, n’aie pas de peur,
Et je ne me retournerai pas
Pour regarder une dernière fois
Ta face blessée et prisonnière,
Je te laisserai la et il faudra t’y faire
Car je me ficherai de toi,
Car me moquerai de toi,
Et je raconterai partout à quel point l’on ‘s’aimait’,
Comme tu étais risible,
Comme le temps qu’on perdait m’a poussé à te haïr. »

Et tout est vain.

kamila et la lettre d'amour

Paranoïa

Et comme toujours les méandres me paraissent
Teintés de la colère comme une violente ivresse,
Arraché, déployé, le monstre sanguinaire
Se nourrit, me déchire, part solitaire,

Et me voilà pantoise, tuméfiée et haïe
Le cœur engourdi et la rage débordante,
Qui pourrait contenir ces frasques
Faisant de mon cœur gris un cœur des plus hideux ?

Nul besoin de courir, tous autant me rattrapent
Fantômes impossibles, irréparables outrages

Et mon sang cristallisé dans la peur et le feu
Mène toutes les routes vers ce triste chaos

Incessant, affolant,
Qui sont ces automates
de mon âme enragée
Qui sont ces autres piques
qui me veulent au piquet,
décapitée à l’os
Je ne sens ni les ailes
de la miséricorde,
Ni les feux empourprées
de l’amour envolé,
Ni la lave chatouillante
des enfers.
Ne restent que les cendres
et le drame furieux
des esprits déchirés.

l'alcool et une addiction

Alcool

Je ne suis rien,
et si ce n’est pour ces jours tristes, je ne suis rien.

Le ciel a la même couleur fadasse, et cette même luminosité aveuglante et tenace qui me donne la nausée. Chaque jour, les mêmes visages bouffis et enlaidis par la misère sociale et affective, passent et repassent, et semblent me suivre partout où je fuis, spectres de leur vie gâchée. Et puis, ces jours qui commencent par une aube dégueulasse, avec sa niaiserie crasse, comme un doigt tendu à tout le désespoir du monde, et qui nous nargue de sa couleur rosée. L’hypocrite aube, l’hypocrite crépuscule, toutes ces beautés sont de si mauvais goût ! Est-ce que le ciel sait, au moins, est-ce que la Nature sait, qu’on s’emmerde ici ?!

Mais, le soir, ça va mieux, car je rejoins mon cher ami, cet enfoiré que je bois et que je bois à en dégueuler, et à finir raide mort, sur un toit de Paris qui s’éveille. J’ai la vision floutée et je ne marche plus droit, je suis incapable de parler ; je m’amuse du soleil qui se lève, des nuages grisonnants, je crache par dessus la rambarde, incroyablement seul. Je ne sens plus mes membres et un rien me démange et me fait rire de nervosité. Je ris, mais je ris comme jamais je n’ai ri ! Ce sont mes moments de grâce, et je me dis que tout ça vaut quand même quelque chose. Et parfois je pense à mon existence passable, à ma face passable, à mon histoire passable, et je me dis que si le futur à le même goût que le passé, vaudrait mieux en finir.

Alors, c’est rigolo et pathétique, j’essaye d’escalader cette haute rambarde de fer, totalement bourré, et mes bras et mes jambes ne suivent plus mon corps, et je pleure et je ris de ne pas y arriver, et avec quel courage, avec quelle chance ; aucun. Alors que je m’écroule par terre de désespoir et de fatigue, et je morve de partout, je me roule sur le sol en espérant rencontrer Dieu, avoir cette illumination, ce déclic, et c’est mon moment de spiritualité quotidienne. En général, quelqu’un, un voisin, finit par m’insulter et me menace d’appeler la police si je ne dégage pas tout de suite de son toit (paraîtrait que je gueule fort). Je dévale alors les escaliers de service, en m’éraflant sur chaque vis et chaque bord pointu, pris d’une petite panique irrationnelle.

Et je le vois, ce putain de soleil au beau matin d’un Paris désert, qui pointe son rayon insolent vers ma face blême et verte, et j’aurais envie de lui en flanquer une à cette putain de lumière ! Je titube calmement, je bois les dernières gouttes de mon ami presque sec, marchant vers l’ombre, vers la nuit que je cherche encore dans ce jour écrasant. Et je cours comme un con dans la rue, ma bouteille à la main, en espérant toucher du doigt la nuit qui pâlit dans l’horizon violet. Mais le temps a passé et je suis inondé de lumière, et tout le monde me voit ; alors je file me cacher, avec mon allure fauve et enfantine, et je pleure en riant de me cacher ainsi du monde.

 

kamila et ses addictions

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Sensations

Je voyais des étoiles sur les arbres

Les basses sourdes grinçaient à mon oreille
Et les rires des gens me semblaient meurtriers,
La terre tournait très vite, je me sentais voler,
Et ma peau faite d’air, je crois qu’elle me brûlait,
J’avais des algues vertes à la place des cheveux,
Qui dansaient tout autour de mon visage noir d’encre
Mes ongles se tortillaient, bizarrement argentés
Et les lueurs du ciel luisaient comme des éclairs ;

Et dans ce vacarmes d’innombrables délices
Frôlaient mes yeux ouverts et mon âme embrasée
Et ma moite figure et mes membres fêlés
Subissait les supplices de mon furieux plaisir.

Insomnie

[Ô] abysses​ noires et sauvages des nuits,
On ne distingue pas vos formes abruties
On ne sait pas vos ombres, vos couleurs,
Et me plonger en vous me fait la plus grand peur.

Ô éternel soupir des hommes endormis,
Éternelle lâcheté de l’être qui se défile
Abandonnant la vie à la mort du jour.

Aux lueurs obscures de la nuit qui revient,
Je me bats et je lutte pour rester conscient
Et observer de loin les découpes abruptes
Des objets et des gens plongés dans le silence.

Le fléau de la mort maintes fois ressenti,
Je le sens, me dévore
Et les yeux injectés et le corps assailli
Assoient sur ma conscience sa brève assassine.

Lourdeur et fatigue m’emportent malgré moi
Au bout de quelques heures de lutte intimidante,
Et c’est dans le regret et dans le soulagement
Que je tombe endormi, raide et dépendant.

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Poèmes et illustrations de Kamila Chérif