Environ 500 000 personnes et près de 60 000 enfants sont élevés dans un contexte sectaire. On a rencontré Gaëtan, Myriam et Christophe qui ont quitté ces mouvements.
En allant à la rencontre de Gaëtan (dont le prénom a été modifié pour des mesures de sécurité), Myriam et Christophe, dont les récits serviront de fil rouge à ce long-format, on découvre ce qu’est réellement « l’emprise » et comment gourous, médiums et leaders deviennent des demi-dieux aux yeux de leurs adeptes.
« La secte, c’est très pernicieux, c’est de la soumission librement consentie »
Sandrine Cuzzillo, psychologue stagiaire, s’est longuement intéressée aux témoins de Jéhovah. En rencontrant d’anciens adeptes, elle a constaté l’illusion dans laquelle vit constamment le membre d’une secte : « Il est persuadé d’être entièrement libre de ses mouvements et de ses pensées. » L’emprise du mouvement sur l’adepte se construit doucement, elle est acceptée de manière naturelle par le nouvel adhérent. «La secte, c’est très pernicieux. C’est de la soumission librement consentie », nous explique Sandrine Cuzillo. Dans les années 90, le phénomène d’emprise était bien moins flagrant qu’aujourd’hui, la plupart des groupes sectaires sont aujourd’hui restreints et concentrés autour d’une dizaine de membres. « Les grands mouvements se sont raréfiés, la plupart ne fonctionnent plus que sur les naissances au sein même du groupe. »
Grâce à ses études, Sandrine Cuzzilo a pu constater que les membres des sectes étaient avant tout à la recherche de réconfort, « ils ont besoin d’être rassurés et ne trouvent pas ce réconfort dans notre société actuelle. » Face au sentiment d’insécurité, des individus vont donc adhérer à des croyances parallèles, « en marge », et fonctionner en petits groupes. Petit à petit, ils se laissent prendre au jeu…
Gaëtan et les séances de Ouija
J’ai rencontré Gaëtan, jeune professeur de philosophie, en novembre 2016. J’avais eu écho de son histoire personnelle qui nourrissait les cours qu’il présentait à ses élèves au lycée. Une histoire qui mêle croyances, spiritualité et pression familiale autour d’un seul sujet qui le hantera probablement toute sa vie : la secte. Ses parents avait choisi, bien avant sa naissance, un chemin hors des sentiers, promouvant le culte de la doctrine d’Allan Kardec. Ce philosophe, qu’on surnomme « le codificateur du spiritisme », a produit cinq ouvrages fondamentaux sur le spiritisme et fondé une revue, Esprit Spirit.
Les parents de Gaëtan y sont entrés à la trentaine, par fascination pour les pratiques mystiques. Plusieurs centaines d’adhérents à travers le monde, principalement au Brésil, recourent, encore aujourd’hui, à des séances régulières de Ouija – les tables tournantes – et autres cérémonies pour parler aux esprits. Ces communautés singulières naissent à la suite d’initiatives locales, les parents de Gaëtan ont ainsi fondé le petit groupe de la région. Ils se réunissent régulièrement, autour de personnalités quelque peu controversées : les médiums.
Gaëtan est né dans cette communauté. Il n’a jamais connu un autre mode de vie, il ne s’est donc jamais étonné de ces pratiques. Lors de notre rencontre, il nous a raconté son quotidien au sein du groupe.
Si ce groupe paraît extrêmement lointain de nos croyances, et en complet décalage avec notre société, il compte néanmoins de nombreux groupes locaux, dont une petite dizaine à Paris. Je ne fus pas surprise, en attendant devant la poste de mon quartier, à Vincennes, de poser les yeux sur la vitrine d’un local proposant des réunions hebdomadaires autour de la doctrine d’Allan Kardec.
Christophe, ancien adepte de Sri Chinmoy
Christophe est entré dans le groupe spirituel de Sri Chinmoy en 1992, alors âgé de 23 ans. Catholique mais peu pratiquant, Christophe était servant de messe lorsqu’il était enfant. La doctrine de Sri Chinmoy ne l’a pas directement convaincu, il est entré dans le groupe non pas par vocation, mais « pour suivre (sa) petite amie ». Lors d’un de ses cours de yoga, celle-ci avait remarqué une affiche qui proposait des séances de méditation. « Je l’ai accompagnée pour être sûre que ce n’était pas quelque chose de déconnant. Et, au fil des séances, je m’y suis retrouvé. J’ai trouvé cette voie sincère et enrichissante . »
Leur professeur de méditation : une adepte de Sri Chinmoy, un gourou indien, auteur de près de 1 500 livres et 115 000 poèmes, qui a réalisé des cours de méditation à l’ONU. Il aurait réussi à écrire 843 poèmes et peint 16 031 tableaux en vingt-quatre heures (soit une esquisse toutes les cinq secondes). Il se disait capable de voler ou de faire léviter des éléphants. « Exceptés ces deux derniers prodiges, la plupart de ses autres exploits ont été photographiés et largement diffusés aux disciples et futurs disciples », révèle le sociologue français Gérald Bronner qui s’est penché sur ce mouvement sectaire dans son ouvrage L’Empire des croyances.
L’antenne nancéienne qu’a rejointe Christophe a été fondée en 1987 par une femme du nom de « Mandira » sous la forme d’une association loi 1901. Resté quinze ans dans le groupe, Christophe avoue avoir voulu chercher « un mode de vie plus calme, plus serein ». Son expérience débute par des séances gratuites et libre d’accès. Elles se déroulent dans des salles de méditation à la lumière tamisée où la musique planante permet d’atteindre un état méditatif.
Myriam, une vie dans Les Enfants De Dieu
« Nous sommes au début des années 1970. Une jeune fille de quinze ans fugue et se retrouve dans une maison squattée où se niche un collectif de personne à la recherche d’une manière de vivre alternative et autonome. » C’est ainsi que débute le livre de Myriam Declair, que je rencontre dans un bel appartement par une journée pluvieuse. Cette jeune fille de quinze ans, c’était elle, fille de diplomates, athée, utopiste. Sa fugue répond à la recherche d’une autre manière de vivre. Idéaliste, elle rejoint une communauté de reclus de la société dans une vieille maison délabrée, jusqu’à la rencontre qui va lui faire prendre un tournant dans sa vie : une famille issue de la communauté des Enfants de Dieu.
Durant tout un après-midi, nous avons discuté, ou plutôt, je l’ai écoutée me raconter sa terrible histoire. L’emprise sous laquelle elle fut pendant près de quinze ans, et la pression sociale qu’elle a acceptée, sans broncher, malgré ses valeurs et sa fierté. Ces trois histoires ne sont pas anodines, elles représentent un danger constant pour les jeunes et moins jeunes aujourd’hui. Comme la plupart d’entre nous, j’ai cru, naïvement, que les sectes s’étaient éteintes depuis le Temple Solaire, et que les témoins de Jéhovah n’étaient que ces gens qui attendent pacifiquement sur les places publiques ou aux entrées des gares avec leurs prospectus ridicules signalant la fin du monde.
« Aujourd’hui, encore, jeunes et moins jeunes rejoignent des organisations totalitaires. Ils perdent tout : leur liberté, leur dignité… Jusqu’à devenir des objets pour le recruteur ou le leader »
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Depuis les attentats de Charlie Hebdo le terme de « radicalisation » fleurit sur les réseaux sociaux et nos différents journaux. Un terme qui colle à la peau de tout fanatique. Il ne sort pas de nul part. Pas seulement associé au djihadisme, le processus de radicalisation est à l’origine de nombreux massacres ces dix dernières années. Jim Jones dans les années 80, l’Ordre du temple solaire en 1995. Aujourd’hui, nous sommes incapables de dénombrer toutes les autres victimes, silencieuses, qui ne font plus la une de nos journaux.
Secte et radicalisation sont pour moi liés. Dans des centres comme le Centre national d’accompagnement familial face à l’emprise sectaire (CAFES), on voit défiler autant de parents, inquiets pour leur enfants convertis à un Islam radical, que d’anciens Raéliens ou témoins de Jéhovah. Mais voir ces jeunes partir en Syrie, alors qu’un an auparavant ils n’étaient ni croyants ni concernés par la géopolitique de cette zone, pose une question : comment en vient-on à risquer de tout perdre pour une idéologie ? Gérald Bronner dédie son ouvrage La pensée extrême à la compréhension du phénomène d’endoctrinement. Il met en avant « l’aptitude de certains individus à sacrifier ce qu’ils ont de plus précieux (leur carrière professionnelle, leur liberté…) et, en particulier, leur vie, et, dans de nombreux cas, celles des autres aussi au nom d’une idée ». Face à cette radicalisation, deux sentiments : l’irrationalité et l’indignation. « Certains individus adhèrent si inconditionnellement à un système mental qu’ils lui subordonnent tout le reste », précise le sociologue.
En assistant à une conférence donnée par la communauté des Raéliens à Metz, dans une obscure cave d’un restaurant branché, je me suis confrontée à cette irrationalité. Le discours tenu par les membres de ce groupe était des plus surprenants : nous devions nous préparer à la venue d’extraterrestres que Raël, anciennement Claude Vorilhon, avait rencontré. Un autre monde. Nous sommes en 2017, et nous savons désormais que la Terre n’est pas le centre de l’univers. Nous supposons désormais l’existence d’autres planètes habitables (la NASA ayant récemment découvert sept nouvelles exoplanètes), et sommes capables de construire de véritables vaisseaux spatiaux. Ce n’est plus seulement de la science-fiction. Toutes ces découvertes ont fini par rendre concevable l’existence d’extraterrestres, et servir les croyances les plus étranges. Comme l’explique Gérald Bronner, « les progrès de la connaissance ne sont pas en mesure de réduire à rien l’emprise des croyances pour cette première raison qu’ils élargissent le domaine du concevable, ce qui est de nature à engendrer de nouvelles croyances. » Un cercle sans fin.
Secte ou religion ?
Chacun reste libre de croire en ce qu’il veut. Mais l’on s’indigne ou s’inquiète particulièrement lorsqu’au delà de la croyance, c’est le mode de vie qui est modifié. Dans de nombreuses sectes, l’adepte ne respecte alors plus les lois de la République, mais celles de son propre groupe, allant jusqu’à perdre son libre arbitre. De là se dessine une nuance troublante : celle de la distinction entre la secte et la religion. La plupart des chercheurs que j’ai rencontrés sont divisés. « Pour moi, la différence entre les deux est assez flagrante. La religion est une secte appuyée par le pouvoir, elle reçoit une sorte de label honorable qui lui permet d’exercer son influence, sous la protection de L’État. Et ce, en toute impunité », considère Anne Morelli, historienne.
Après tout, une résurrection n’est pas plus probable que l’arrivée d’extraterrestres sur Terre, comment juger d’une croyance ? Au Centre national d’accompagnement familial face à l’emprise sectaire, on me conseille d’oublier le mot « secte », qui est « inadapté ». Pour Charline Delporte, sa directrice, « ce terme est vide juridiquement parlant. Il est plus correct de parler de dérives sectaires, afin de l’appliquer à tout type de croyance ».
« La lutte contre les sectes devient lutte contre les « dérives sectaires », opérant un glissement sémantique qui permet, d’une part, d’englober de multiples petits groupes qui ne sont pas clairement constitués et, d’autre part, d’éviter la stigmatisation d’un groupe. Sont jugés les comportements, non plus les personnes », écrit Sandrine Cuzzillo, psychologue stagiaire dans son sujet de recherche sur les différents mécanismes de sorties de secte.
Les sectes et leur rapport à la loi
La loi française a du mal à prendre en charge les victimes des sectes et à condamner les leaders de ces groupes. Le rapport de 1995, qui a le mérite d’exister, a confirmé le vide juridique autour du mot « secte ». Les parlementaires ont alors listé 170 mouvements considérés comme dangereux. Une initiative malheureusement vide de sens. « Quand le rapport a été publié, beaucoup de mouvements ont changé de nom dans les jours qui suivirent. Et ils sont venus dire : « Regardez, je ne suis pas dans cette liste, vous pouvez venir sans crainte, ayez confiance » », me confie Claire, juriste au CAFFES.
Ce premier texte ne prend pas en compte les spécificités de la loi pénale française, incapable de punir quelqu’un pour son appartenance à un groupe quel qu’il soit. Même considéré comme dangereux, et ce, « tant qu’il n’y a pas d’acte délictueux », m’indique à nouveau Claire. Cependant, il s’agit du premier décret visant à sensibiliser le grand public au phénomène d’emprise en prenant en considération la sujétion psychologique. Avec le rapport About-Picard qui le complète, en 2001, la France est alors à la pointe, au niveau européen et mondial, de la lutte contre les dérives et les mouvements sectaires.
Gare au gourou
Pour les bénévoles du CAFFES, il est important de sensibiliser la population sur ces dérives qui touchent aujourd’hui près de 500 000 personnes en France. Deux domaines de prédilection pour ses mouvances : la formation et la santé. Dans une interview donnée à Paris Match, Georges Fenech, homme politique (LR) et ancien magistrat à Lyon, déclare que, sur près de 60 000 organismes de formation professionnelle, entre 1 500 et 2 000 semblent être des organisations sectaires, « elles infiltrent l’entreprise, recrutent de potentiels adeptes et, en même temps, s’enrichissent ».
Côté médical, la Haute autorité de santé rappelle « qu’un patient sur cinq environ consulte Internet pour rechercher de l’information médicale ou de santé » et qu’il tombe parfois sur des pratiques étranges qui font l’objet d’un marché de soin parallèle. Ces dérives thérapeutiques sont liées aux dérives sectaires et sont une menace pour la santé puisqu’on soupçonne 3 000 médecins praticiens d’appartenir à une mouvance radicale.
Ces médecines parallèles qu’ils promeuvent portent les noms de réflexologie, de kinésiologie, de reiki… Le docteur Ryke Geer Hamer, médecin très controversé, pensait avoir trouvé un lien entre les chocs émotionnels, le cerveau et les organes atteints de cancer. Ses patientes ont donc arrêté leur chimiothérapie et en sont mortes. Tout comme Steve Jobs, qui avait préféré écouter son naturopathe et refusé l’opération de son cancer, conduisant à son décès.
Olivier Hertel, journaliste à Sciences et Avenir, a longuement enquêté sur ces procédés qui sont allés jusqu’à envahir les hôpitaux. Le mercredi 5 décembre 2012, il a présenté ses découvertes au Sénat, déclarant qu’une « multitude de pratiques ésotériques sectaires, voire dangereuses, sont déjà présentes dans les centres hospitalo-universitaires, les centres hospitaliers, les cliniques, les centres anti-cancer, les universités, les facultés de médecine, les laboratoires de recherche, les grandes écoles, les associations de malades et les associations finançant la recherche ».
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Romane Mugnier (illustrations : Antonin Jury)